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Préservation des holothuries blanches à mamelles à Tahiti: quand le savoir traditionnel devient le pivot d’un projet scientifique

L’holothurie blanche à mamelles « rori titi u’o » (Holothuria fuscogilva) est une espèce très prisée en Asie pour sa chair et ses propriétés médicinales, à tel point que sa forte valeur commerciale a conduit à sa surexploitation dans la région Indo-Pacifique.

BEST 2.0+ a été très heureux d’accorder à la société civile d’aquaculture « Tahiti Marine Products » une subvention en juillet 2021 pour mettre en œuvre « Vairao Rori Titi Project », un projet d’étude de stock et de recherche de juvéniles conçu pour contribuer à la préservation et à la gestion de cette espèce en vue de son exploitation durable en Polynésie française.

En mai 2022, une fois le projet terminé, le secrétariat de BEST2.0+ a eu l’occasion de visiter le site du projet, le lagon de Vairao, sur la côte sud-ouest de Tahiti, et d’échanger avec les personnes impliquées dans ce projet.

Mahanatea Garbutt, une biologiste marine tahitienne passionnée et engagée et une technicienne en aquaculture, s’est engagée dans une conversation passionnante avec nous. Vous trouverez ci-dessous quelques extraits de la conversation que nous avons eue avec elle.

1. A votre avis, quels sont les principaux défis en matière de conservation en Polynésie française?

En Polynésie française, je pense que le principal défi en matière de conservation est qu’encore beaucoup de familles vivent de « la pêche du jour ». Ceci peut parfois rendre difficile la mise en place et le respect d’une réglementation.

Auparavant, la réglementation des pêches était très souvent régie par les « anciens », qui forts de leurs expériences et autoritaires, se faisaient respecter. Cependant, de nos jours, le savoir de ces sages n’est plus considéré, et les gens pêchent le plus possible pour en vendre le plus.

Bien que ce n’est pas un travail évident, encore beaucoup de choses peuvent être améliorées en termes de législation pour la conservation de nos ressources naturelles (par exemple, la taille légale des poissons des lagons, etc.).

2. Comment les communautés locales de Polynésie française sont-elles affectées par ces défis? Participent-elles aux efforts de conservation?

À mon avis, lors de la prise de décision les scientifiques et/ou biologistes ne sont pas assez à l’écoute de la population et ne vont pas toujours à la rencontre des anciens pêcheurs expérimentés de la zone. Parfois, les décisions prises se fient trop aux articles scientifiques lus, plutôt qu’à l’échange d’expérience et des connaissances des habitants.

De mon point de vue, la conservation et la préservation des ressources locales peuvent être plus efficaces et pérennes si les habitants sont activement impliqués dans le processus de décision et sont responsables de la gestion de ces ressources. En règle générale, les Polynésiens sont conscients de leur environnement et de l’importance de sa protection. Cependant, ils dépendent également des ressources marines pour leur alimentation. Par conséquent, certaines règles de conservation drastiques peuvent ne pas être respectées, comme cela peut être le cas pour les pêcheurs locaux, puisqu’ils ont également besoin de « mettre de la nourriture sur la table ».

Lorsqu’un projet de conservation est créé, il faut d’abord tenir compte d’une relation de confiance dans les connaissances traditionnelles des habitants locaux si l’on veut que le projet soit réussi et respecté.

3. Quelles sont les principales priorités et activités de votre organisation en matière de conservation en Polynésie française?

Le projet Vairao Rori Titi Project se concentre sur une « espèce vulnérable » (annexe II de la CITES), l’holothurie blanche à mamelles (Holothuria fuscogilva). Les activités de pêche de cette espèce ont d’abord été réglementées en 2012 avant d’être totalement interdites en 2019.

En Polynésie française, pratiquement aucune recherche et étude n’a été faite sur cette espèce en particulier, car les études sont portées sur les holothuries en générale. Grâce à ce projet nous avons pu apporter quelques éléments de réponse, comme par exemple la définition des sites propices (profondeurs, sédiments, etc.) à la présence d’holothuries blanches à mamelles dans le lagon de Vairao. Cependant, pour protéger efficacement une espèce il nous faut également connaitre et comprendre mieux son interaction avec son environnement, notamment leur type d’habitats et leurs activités de migration au cours de leur cycle de vie.

4. Comment Vairao Rori Titi s’inscrit-il dans ce contexte ? Pourquoi poursuivre ce projet?

Le projet BEST 2.0+ a été l’occasion d’étudier et d’en savoir plus sur cette espèce. Le projet Vairao Rori Titi Project a été bénéfique pour trouver et définir les zones propices à la présence de cette espèce de concombres dans le lagon de Vairao. Nous avons également essayé d’analyser les caractéristiques communes de chaque site, telles que la profondeur, le type de sédiments, etc.

Plusieurs opportunités d’étude résultent de ce projet. Il y a encore beaucoup à faire et à étudier dans nos lagons et, en particulier, sur la migration de cette espèce, les zones préférentielles de recrutement des larves, des juvéniles, des jeunes adultes, ainsi que leurs préférences alimentaires (types d’algues, microparticules dans les sédiments, etc.).

5. Comment ce projet a-t-il engagé et incorporé les connaissances locales et traditionnelles dans sa planification et sa mise en œuvre?

Dès le début du projet, d’anciens pêcheurs ont été sollicités pour leur connaissance des zones où ils avaient précédemment observé et pêché des concombres de mer. Nous avons travaillé ensemble pour définir les sites et adapter le protocole ; initialement proposé par La Communauté du Pacifique (CPS), aux caractéristiques du lagon de Vairao. Nous avons modifié le protocole initial et, au lieu de ne plonger qu’une seule fois dans une zone, nous avons adapté les plongées à la phase lunaire, car les pêcheurs avaient remarqué que les concombres de mer sont plus abondants dans un site que dans d’autres en fonction de la phase lunaire. Ainsi, nous avons effectué une plongée par semaine (pendant 4 semaines) sur chaque site (16 sites au total). En effet, nous avons remarqué une différence dans le nombre de concombres de mer au fil des semaines d’un site à l’autre. Malheureusement, les résultats n’étaient pas suffisants pour être statistiquement significatifs. Néanmoins, ces observations étaient cohérentes avec ce que les pêcheurs nous ont expliqué depuis le début.

6. Quelles ont été les réalisations les plus remarquables et les exemples d’impact de votre projet?

Grâce à ce projet:

1) nous avons répertorié dix sites dans le lagon de Vairao où les holothuries blanches à mamelles sont présentes en permanence;

2) nous avons construit une base de données de chaque holothurie blanche à mamelles rencontrées (longueur, largeur, photographie);

3) nous avons formé des plongeurs sous-marins à reconnaître le concombre de mer et leur type de substrat préférentiel;

4) nous avons repéré les zones d’herbiers et d’algueraies (habitats préférés des juvéniles selon des articles scientifiques) présentes dans le lagon de Vairao, et

5) nous avons défini les avantages et inconvénients de trois techniques d’évaluation des stocks. Nous pouvons ainsi conseiller sur la (les) méthode(s) plus appropriée(s) (plongée sous-marine, plongée libre ou ROV) à utiliser en fonction des caractéristiques de la zone choisie.

Même si les tests statistiques n’ont pas été concluants en raison du manque de données, ce projet nous a permis de comprendre la tendance des animaux et nous aidera à décider d’un futur plan de conservation efficace.

7. Que voudriez-vous qu’il se passe ensuite dans le cadre de ce projet?

En tant que chargée de projet, biologiste marin et technicienne en aquaculture, je me suis passionnée pour cet animal, et je me demande toujours quels sont ses véritables comportements migratoires au cours de son cycle de vie. N’ayant pas trouvé de juvéniles dans le milieu naturel, nous ignorons toujours où ils migrent pendant leurs stades larvaires, leurs phases juvéniles et subadultes. L’acquisition de ces informations nous aidera dans la conservation globale, la préservation et les pratiques d’aquaculture de cette espèce.

8. Comment la collaboration avec BEST a-t-elle joué un rôle dans le travail de votre organisation?

Travailler en collaboration avec BEST nous a appris à gérer correctement notre budget et à définir clairement les résultats que nous voulons obtenir, tel qu’il est exigé dans l’élaboration du Cadre logique. Ainsi, la planification devait être bien pensée et nous devions anticiper tout changement éventuel.

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Si vous voulez voir des images inspirantes du travail effectué sous l’eau par ce projet, jetez un coup d’œil à cette vidéo!